Lettre ouverte
Aux membres de notre gouvernement
à nos élus
et toutes celles et ceux
qui font de la réduction de la dette publique une priorité
La dette en France, représente à ce jour, environ 1100 milliards d¹euros et la charge annuelle du seul paiement des intérêts représente presque le produit de l¹impôt sur le revenu. Ces chiffres, à première vue, ont de quoi inquiéter le citoyen qui, naturellement, considère la situation de la Nation comme s'il s'agissait de la sienne. Il se dit à juste titre que ce n¹est plus supportable et que les membres du gouvernement, soutenus par une majorité d¹élus, ont bien raison de faire une priorité nationale de la maîtrise des dépenses de l¹Etat et de la réduction du déficit public. Cette volonté s¹est traduite, par exemple, par l¹affectation intégrale au désendettement des 10 milliards de plus-values de recettes de 2004, et des 10 milliards provenant de la cession des sociétés d¹autoroutes.
Cela semble plein de bon sens ; pourtant la question juste et prioritaire ne devrait-elle pas être celle de se demander comment sortir de cette situation inique, absurde, pour ne pas dire scandaleuse, qui fait que l¹Etat doive s¹endetter auprès des banques et payer un intérêt pour avoir accès à son propre argent?
Quel que soit le gouvernement en place, il semble qu¹il n'ait à sa disposition que deux leviers de commande: maîtriser les dépenses d¹un côté, soutenir la croissance de l¹autre. Et tout le monde, majorité et opposition, de s'accorder comme un seul homme sur cette «évidence»! Les divergences n'apparaîssant que dans l¹application selon les sensibilités en place. Seulement voilà, ça ne marche pas, car il est une autre évidence qui, celle là, semble échapper à la plupart : REDUIRE LES DEPENSES DE L¹ETAT APPAUVRIT LA NATION, car ses dépenses se traduisent par du travail qui enrichit la nation, QUANT A LA CROISSANCE, SI ELLE EST UNE SOLUTION ECONOMIQUE, ELLE EST UNE ABERRATION ECOLOGIQUE. Il serait donc temps de cesser de jouer à l'autruche si nous voulons éviter la catastrophe économique ou la catastrophe écologique, que le recul que nous avons maintenant et les indicateurs nous annoncent de plus en plus précisément, sans avoir besoin d'être grands devins.
Je ne m¹étendrai pas plus sur les effets pervers de la croissance qui commencent à être largement perçus, quoique trop souvent ignorés, mais sur la question de la dette publique qui, elle, est beaucoup plus confuse dans les esprits.
Le point essentiel sur lequel je voudrais insister, repose sur le fait qu¹en économie il n¹est fait aucune distinction entre intérêt particulier et intérêt collectif. C¹est ce qui conduit la quasi globalité de la classe politique, toutes tendances confondues, à croire que c¹est faire preuve de civisme et de responsabilité que de chercher à gérer le pays «en bon père de famille». Chaque fois qu¹un homme politique explique à la Nation qu¹un Etat n¹a pas le droit de vivre au dessus de ses moyens, qu'il doit se gérer comme le budget familial, j'ai des frissons d'indignation et je frémis de voir combien le dogme économique peut être puissant au point d'engluer les esprits les plus brillants.
Pour comprendre les choses il convient de préciser quelques points qui échappent à la plupart :
Si j'emprunte 1000 euros à mon voisin, j'ai une dette envers lui, car il m'a cédé pour un temps une partie de sa richesse. Il est normal aussi que je lui verse un intérêt pour compenser la recette potentielle dont il s'est privé en amputant ses ressources.
Il fut un temps où l'argent existait sous forme de pièces en métaux précieux. C'est ce que l'on appelle l'argent «permanent». Il arrivait aussi que les princes et les rois, aient recours à l'emprunt auprès de personnes privées fortunées pour financer leurs ambitions. Si l'Etat emprunte à des particuliers une part de leur richesse existante, il est en dette pour la même raison et doit répondre aux mêmes obligations.
Mais au fil de l'histoire, l'argent s'est dématérialisé, au point qu'aujourd'hui il « n'existe plus ». Depuis 1971, il n¹est plus relié à aucune matière précieuse. Ainsi sommes-nous passés d¹une « monnaie permanente » représentée autrefois par les pièces d¹or et d¹argent, plus récemment par des billets garantis par de l¹or, à une « monnaie de banque », dématérialisée et temporaire. Pourquoi temporaire ? Parce qu'elle n'existe qu'entre le moment où elle est prêtée et le moment où elle est remboursée.
Mais il est une autre particularité de l'argent moderne: l'argent prêté par les banques n'est pas celui que d'autres personnes ont en trop et laissent en dépôt, mais de l'argent qui « n'existe pas » et que la banque « crée » sur la seule confiance qu'elle accorde à l'emprunteur quant à sa capacité à la rembourser. C'est ce que l'on appelle « la création monétaire « ex nihilo » (création à partir de rien). C'est la seule évolution des pratiques bancaires, sous la pression des évènements de l'histoire, qui a conduit à cette situation pour le moins choquante, que les banques ont accaparé, d'une part, un privilège d'Etat, et d'autres part, se sont rendues propriétaires d'un argent qui n'existe pas, et qu'elles n'hésitent pas à prêter avec intérêt !
Je ne m'insurge pas contre le principe de la création monétaire, car elle représente un mécanisme qui garantit potentiellement que l'argent ne puisse pas manquer, ce qui est une bonne nouvelle; je m'insurge contre le fait que ce privilège soit abandonné à des intérêts privés ! Qu'un Etat soit en dette à l'égard d'une personne privée quand celle-ci prête une partie de sa richesse existante, soit, mais qu'il soit en dette à l'égard de cette même personne pour une richesse qu'elle sort de son chapeau, non! Voilà ce qui est insupportable: accepter sans rien dire qu'une Nation soit obligée de payer une entreprise privée pour avoir accès à son propre argent! Trouveriez vous normal que l'on vous fasse payer les légumes que vous faites pousser dans votre potager ? Et bien c'est cela la dette de l'Etat.
Tous les jours aux nouvelles, et à chaque échéance électorale, les mêmes problèmes Š L¹emploi, la sécurité sociale, les retraites, l¹environnement etcŠ Ces problèmes occupent à temps plein la classe politique, les pouvoirs publics et pas mal d¹associations. Pourtant ce sont de FAUX PROBLEMES : entendons-nous, ils sont bien réels dans la mesure où ils sont sources de souffrances pour bien des gens, mais FAUX en ce sens qu¹ils ne sont que les SYMPTOMES d¹un problème plus profond :
Problème de l¹emploi? Comment pourrait il y avoir un problème dans un monde qui totalise plus de 200 millions de chômeurs et où tant de besoins essentiels restent à satisfaire? il y a plus à faire que de bras et de cerveaux disponibles! Non, il n¹y a pas de problème de l¹emploi mais de FINANCEMENT de l¹emploi!
Problème de santé publique? Comment pourrait-il y avoir un problème dans un monde où les connaissances, les pratiques et les techniques se sont considérablement développées et continuent de le faire chaque jour; dans un monde qui offre, en plus de la médecine traditionnelle, un vaste choix de thérapies nouvellesŠ Non, il n¹y a pas de problème de santé publique, mais de FINANCEMENT des systèmes de santé.
Problème d¹environnement? Comment pourrait-il y avoir un problème dès lors que l¹on sait ce qu¹il faut faire pour préserver les équilibres vitauxŠ Non, il n¹y a pas de problème de l¹environnement, mais de FINANCEMENT des solutions applicables.
Et ainsi de suite pour tous les problèmes que l¹on peut évoquer. Notre monde en est arrivé au paradoxe suivant : LA MOITIE DE L¹HUMANITE MEURT DE SOIF A COTE D¹UN PUITS REMPLI D¹EAU PARCE QU¹ELLE N¹A PAS L¹ARGENT QUI LUI PERMETTRAIT D¹Y AVOIR ACCES.
A l'heure où l¹Europe se construit, n'est-il pas essentiel qu¹elle trouve une voie nouvelle? N'est-il pas essentiel qu¹elle refuse de s¹enfermer dans l¹impasse où conduit le modèle du libéralisme américain? N'est-il pas essentiel que les hommes au pouvoir fassent preuve d¹imagination en trouvant autre chose que la potion, qui n¹est plus magique du tout, des « deux leviers »? N'est-il pas essentiel que la Vie et le bien-être de tous les peuples l¹emportent sur l¹orthodoxie d¹un système qui, pour être dominant, démontre chaque jour un peu plus son inadéquation à répondre aux défis humains et écologiques? La chose n'est pourtant pas si difficile à comprendre! TANT QUE LA CREATION MONETAIRE SERA ABANDONNEE AUX BANQUES COMMERCIALES PAR LE BIAIS DE L¹EMPRUNT A INTERET, IL N¹Y AURA JAMAIS ASSEZ D¹ARGENT POUR FINANCER LES SOLUTIONS AUX PROBLEMES DE NOTRE TEMPS.
Car si l'on veut vraiment s'y atteler, les sommes en jeu sont CONSIDERABLES! Or on le sait, le poids de « la dette » est tel, qu'il interdit tout nouvel emprunt! Sauf si... les règles du jeu étaient définies par les peuples eux-mêmes, par le moyen du jeu démocratique, pour servir l¹intérêt commun; sauf si...les Etats étaient restaurés dans leur pouvoir régalien d¹émettre la monnaie! Alors il n'y aurait plus de dette, ou si dette il y avait, elle ne serait qu'envers eux-mêmes; l'intérêt ne se justifierait plus, ni la nécessité de rembourser ce qu'ils se doivent..
Seulement voilà! Pour le moment, l'élite dirigeante mondiale considère comme normal que les citoyens d¹un pays paient par leurs impôts (donc prélèvent sur leur richesse) les intérêts demandés par les banques privées, pour permettre à l¹Etat d¹avoir accès à son propre argent. Ce qui me sidère, c¹est que nos élus, théoriquement en charge du respect de l¹intérêt commun, ne bronchent pas, et ne cherchent aucunement à y porter remède. Bien au contraire, les voilà qui se félicitent, en bons élèves du système, d'avoir réduit la dette de 20 milliards... 20 milliards qui retournent à néant. Quelle belle victoire! Plus que 1080 milliards à trouver (18000 euros par français) et on sort du tunnel! Quel acte politique de grande envergure, autrement plus glorieux que de mieux rémunérer les infirmières par exemples, ou de créer des emplois d'intérêt collectifs où de nombreuses personnes, aujourd'hui privée d'emploi... mais surtout de dignité, de sens d'utilité, retrouveraient une place dans la société et dans leur vie...
Mais que voulez-vous qu'ils fassent me direz vous ? Cette question ne nous appartient plus, car nous sommes passés à l¹Euro.
La belle affaire! N'est-ce pas justement une fabuleuse opportunité à saisir pour l'Europe ? N'est-ce pas un sujet mobilisateur et inspirant pour les peuples qui la composent et un réel espoir pour le monde entier ? Alors oui, que cette question soit au c¦ur des débats ! Car ce que nous vivons pour le moment est une mascarade qui laisse supposer aux peuples qu¹ils sont maîtres de leur destin par le jeu démocratique, alors que les politiques qu'ils élisent et qui les représentent n¹ont aucun pouvoir. Pourquoi? Parce que la pensée politique est complètement encadrée, enfermée dans la logique bancaire qui tient les cordons de la bourse. Nos dirigeants politiques sont tenus en laisse! Sans doute trouvent-ils plus d'intérêt à être le chien plutôt que le loup de la fable... Mais en attendant, cela restreint considérablement leurs possibilités et les condamne à ne prendre que des mesurettes dont le seul effet est de déplacer les problèmes, pour ne pas nuire aux intérêts particuliers immédiats. Demandez-vous après cela d¹où vient la désaffection des citoyens à l¹égard de leurs élus ? Demandez-vous pourquoi la France, entre autre, a refusé la Constitution d'une Europe qui n'aurait aucun pouvoir sur sa Banque Centrale?
Quelle que soit l'ampleur du sujet, le bon sens devrait conduire à remettre en question tout système, tout principe, dès lors que ses conséquences sont nuisibles, suicidaires, parfois criminelles. Au lieu de cela, nos présidents jouent les commis voyageurs quand ils se déplacent à l¹étranger dans l'espoir de vendre quelques avions ou quelques trains; au lieu de cela, nos élus se bornent à n¹être que de «bons comptables»! Je ne doute pas de leur bonne foi et de leur dévouement; je ne doute pas non plus qu'ils aient une vision plus élevée de leur mission, mais voilà à quoi ils réduisent eux-mêmes leur fonction en acceptant que l'économique et le financier dirigent le politique, en refusant de restaurer la Nation dans ce qui lui revient de droit.
Et ne croyez pas que cette proposition de ré appropriation du pouvoir de la création monétaire par l¹Etat soit une lubie personnelle. Ce débat existe depuis longtemps, de façon trop souterraine certes, mais de façon affirmée toutefois, ne serait-ce que par des gens comme Maurice Allais ou Irwin Fisher, tous deux prix Nobel d¹économie. Alors vous qui vous inquiétiez de la dette, je vous en prie, ne vous demandez plus comment rembourser les intérêts injustes d¹une dette irremboursable à moins de mettre le pays à genoux, et devenez le porte parole de cette idée de la ré appropriation du pouvoir de création monétaire par les Nations.
En oeuvrant ainsi, vous contribuerez à redonner aux peuples le pouvoir sur leur destin, vous deviendrez un citoyen du monde porteur de tous les espoirs pour une amélioration générale de la qualité de la Vie, vous nourrirez la conscience collective qui très prochainement, je l'espère, fera germer une classe politique plus réaliste et consciente des vrais défis.
Philippe Derudder
Animateur de l'association AISES
(Association Internationale pour le Soutien aux Economies Sociétales)
phd@aises-fr.org
Auteur de :
« La renaissance du plein emploi ou la forêt derrière l'arbre » - Ed. Guy Trédaniel
« Les aventuriers de l'Abondance » - Prix special Ch. Vidal 2000 pour une alternative de vie, aux éd. Yves Michel
« Rendre la cré ation monétaire à la société civile » - aux éd. Yves Michel